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Peut-on modéliser et mathématiser l'évolution historique d'une société ? Partie 3

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Peut-on modéliser et mathématiser l'évolution historique d'une société ? Partie III : Modéliser l’avenir de l’environnement

Oui, des tentatives de modélisation voire de mathématisation de l’histoire ont bel et bien existé ! 

Et ces efforts ne sont pas sans intérêt ni résultats, bien que le sujet reste infiniment complexe et largement débattu. Les modèles qualitatifs (comme celui d'Ibn Khaldûn) ou quantitatifs (à l’instar des travaux de North ou de Turchin), offrent des enseignements importants. La durabilité, qu'elle soit sociale ou environnementale, constitue un aspect clé de ces tentatives, qui visent souvent à répondre à la question « jusqu’à quand notre modèle de société tiendra-t-il ? ». Les débats, parfois caricaturaux, initiés par la thèse effondriste – ou en tout cas, de l’effondrement de nos « sociétés thermo-industrielles » - sont quelque peu passés de mode, mais d’une certaine manière s’inscrivaient également dans cette préoccupation.

Tous ces travaux restent cependant largement cantonnés à la sphère académique. Le rapport Meadows de 1971 est resté célèbre, mais connaissiez-vous Peter Turchin et Timothy Waring ? Quoi qu’il en soit, dans le programme de l’IED, nous avons prévu de vous faire découvrir ces travaux dans le cadre du cours passionnant sur Les grandes évolutions de l'économie et de la finance aux XXe et XXIème siècles. 

1. Modéliser l’environnement

Peut-on adapter cette approche quantitative, utilisée en cliométrie / cliodynamique, à la question environnementale ? Autrement dit, est-il possible de prédire mathématiquement l’évolution des contraintes environnementales — comme la pollution, la déforestation, ou l’épuisement des ressources — et d’anticiper leurs impacts sur l’économie et la société de manière concrète ? Plusieurs chercheurs ont tenté de répondre à cette interrogation avec des approches à la fois novatrices et pragmatiques.

Le rapport de Dennis Meadows, publié en 1972 sous le titre Les Limites à la Croissance, constitue l’un des premiers exemples marquants d’une tentative de modélisation systémique. En utilisant le modèle de simulation informatique World3 établi par le cybernéticien Jay Forrester (fondateur de la dynamique des systèmes), ce travail a intégré de manière concrète des équations différentielles pour représenter les interactions non linéaires entre la croissance économique, la production industrielle, la démographie et l’épuisement des ressources naturelles. 

Concrètement, le modèle identifie des rétroactions négatives : par exemple, une croissance exponentielle de la production conduit à un usage intensif des ressources, ce qui, à son tour, provoque une dégradation environnementale qui freine ensuite la production économique. Ce système reproduit des scénarios où, sans changement structurel majeur, la trajectoire historique pourrait conduire à un effondrement global. En effet trois scénarios émergent : deux prédisent un « dépassement et effondrement » global d’ici le milieu ou la fin du XXIe siècle (dont l’un est un scénario « Business as Usual »), tandis qu’un troisième, basé sur des politiques stabilisantes, envisage un monde durable.

Mais quelle a été la réalité au regard des prévisions du rapport ?

Dans le rapport Meadows, un modèle de systèmes dynamiques, World3, a été appliqué pour modéliser les interactions clés entre les variables globales de la population, fécondité, mortalité, production industrielle par habitant, nourriture, des services, ressources non renouvelables et pollution !

En 2008, Graham Turner a revisité ces modèles pour confronter leurs prédictions aux données historiques. Il a observé que, dans plusieurs domaines, les tendances réelles s’alignaient avec les scénarios d’effondrement décrits par World3.

Ainsi, les résultats montrent que le scénario « business as usual » correspond étroitement à la trajectoire observée, suggérant une robustesse indicative du modèle :

  • Par exemple, la population mondiale, passée de 3,8 à 6 milliards, et la production industrielle, multipliée par 14 entre 1930 et 2000, suivent assez précisément les courbes prévues. 
  • L’emballement de l’effet de serre et notamment la hausse des niveaux de CO2 (420 ppm en 2020, contre environ 325 ppm en 1972), l’acidification des océans ou la pollution plastique valident les alertes du rapport sur la pollution.
  • Cependant, certaines prédictions, comme la raréfaction imminente de ressources (pétrole, métaux), surestiment les contraintes à court terme. Par exemple, les réserves de pétrole, estimées à 30 ans en 1970, n’ont pas disparu en 2000 (Meadows ne fixait cependant pas de date précise pour le pic pétrolier), notamment grâce à l’exploitation du pétrole non conventionnel. En outre, le rapport a simplifié les disparités régionales en modélisant le globe comme un tout.

Au final cependant, ces travaux illustrent clairement que si les processus structurels actuels ne changent pas, nous pourrions effectivement atteindre un point de bascule critique à moyen terme. Ils offrent ainsi des repères pour mesurer l’urgence de repenser notre développement économique face aux contraintes environnementales et n’ont pas été sans impact sur le succès des thèses effondristes au début de la décennie 2020, avec l’excès qui caractérise les emballements intellectuels que l’on voit souvent à l’heure des réseaux sociaux…

S’appuyant sur les travaux de Peter Turchin, qui analyse les dynamiques historiques à travers des modèles quantitatifs, Timothy Waring (Université du Maine) a apporté une dimension supplémentaire en établissant une théorie de l'évolution culturelle. Concrètement, Waring étudie comment les institutions et les pratiques sociales s’adaptent (ou échouent à s’adapter) aux pressions environnementales. En utilisant des indicateurs mesurables — tels que la consommation par habitant, l’efficacité énergétique, ou la capacité de recyclage — son approche vise à évaluer la durabilité des structures institutionnelles. Par exemple, certaines sociétés qui ont su intégrer des politiques de gestion durable et d’innovation technologique montrent une meilleure résilience face aux contraintes environnementales, tandis que d'autres, plus rigides, semblent incapables d'amorcer une transition efficace.

Waring cite le cas des Pays-Bas, où des institutions adaptatives, comme les politiques de gestion de l’eau (digues modernes, polders) et des investissements massifs dans les énergies renouvelables (32 % de l’électricité en 2023, selon Eurostat), ont renforcé la résilience face à la montée des eaux et à la dépendance aux combustibles fossiles. 

À l’opposé, il pointe des sociétés comme certains États insulaires du Pacifique, où des institutions fragiles et un accès limité à la technologie entravent l’adaptation à l’érosion côtière et aux cyclones, malgré une consommation par habitant faible (par exemple, 0,5 tonne de CO2 par an à Vanuatu contre 15 aux États-Unis). 

Dans un article de 2020 publié dans Nature Sustainability, Waring montre que les sociétés avec des « boucles d’apprentissage culturel » — des mécanismes institutionnels favorisant l’innovation et la coopération, comme les subventions pour l’efficacité énergétique (ex. : Allemagne, 40 % de réduction de l’intensité énergétique depuis 1990) — affichent une meilleure résilience. En revanche, les systèmes rigides, marqués par des inégalités ou une bureaucratie lourde, échouent souvent à réorienter leurs pratiques, comme au Venezuela, où la dépendance au pétrole (80 % des exportations) bloque la transition énergétique.

2. Les limites de ces approches économétriques

Ces approches se heurtent cependant à trois obstacles majeurs.

  1. Variables cachées : Les « cygnes noirs » de Nassim Taleb, c’est-à-dire des événements à peu près imprévisibles, et à fort impact. Certains historiens lient ainsi le déclin de l’Empire Byzantin et de l’empire Sassanide (et, partant, le succès de la conquête islamique) à l’irruption à une épidémie – la célèbre « peste de Justinien », entre 541 et 767. L’éruption d’un volcan islandais en 1783 aurait également entraîné une série de disettes eu milieu de la décennie 1780, contribuant au déclenchement de la Révolution Française. Cela, les séries statistiques de Turchin ne l’avaient pas prévu…
  2. Non-linéarité : Petites causes, grands effets dans les systèmes sociaux complexes. Depuis 20 ans, l’explosion de la capacité de production de l’énergie solaire déjoue chaque année les pronostics de l’Agence Internationale de l’Energie et des autres observateurs ; la chute de la démographie que nous observons en ce moment presque partout dans le monde (est-ce l’impact du smartphone ?) contredit radicalement les prévisions de l’ONU.
  3. Facteur humain : « Les hommes font leur histoire, mais ils ne savent pas l'histoire qu'ils font » (Raymond Aron). Et si Louis XVI n’avait pas convoqué les Etats Généraux ? Si Turgot avait réussi à imposer ses réformes à la Cour ? Des décisions humaines individuelles auraient pu jouer un rôle déterminant pour faire basculer l’histoire dans un sens ou dans l’autre.

Conclusion 

Il n’est désormais plus absurde d’estimer que les modèles mathématiques offrent des outils pertinents pour anticiper les crises, n’en déplaise aux économistes libéraux. Ces mêmes modèles ont également un intérêt pour promouvoir une économie durable, comme l’a illustré le rapport Meadows un temps moqué – mais resté à-propos, pour l’essentiel.

Tout cela demeure une simplification d'une réalité complexe. La modélisation mathématique de l'évolution sociale n'est ni une chimère ni une science exacte, mais une approximation éclairante des chemins par lesquels les sociétés se transforment. Et comme le suggère Popper – heureusement sans doute ! - la connaissance elle-même modifie le système étudié, imposant une limite intrinsèque à toute modélisation à très long terme.

En simulant l'épuisement progressif des ressources, les modélisations comme celles de Meadows démontrent que l'interdépendance entre systèmes naturels et économiques impose des contraintes réelles sur le développement. Elles aident surtout à prendre conscience des limites planétaires et donnent un socle intellectuel au concept d’économie durable, ainsi qu’une raison d’agir sans céder au catastrophisme, voire à une sorte de millénarisme environnemental. Comme l’écrivait Meadows :

« Il y a encore assez de ressources sur la planète pour permettre un niveau de vie décent et une société équitable si nous faisons les changements nécessaires ».

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